jeudi 14 octobre 2010

Conseil d'arrondissement de Montréal-Nord - La culture du déni














(Will Prosper - photo J. Grenier, Le Devoir, archives)

Mardi 12 octobre 2010, séance du conseil d'arrondissement de Montréal-Nord. Le tout a démarré vers 19h, avec l'entrée en scène d'un groupe d'environ une vingtaine de jeunes de toutes les couleurs. On aurait dit une annonce pour Benetton. Caramel, miel, chocolat, etc. Je dois préciser que dans le miel, il y avait la belle clique de filles du Moyen-Orient que j'aime bien taquiner. Le tout forme Montréal-Nord Républik, un collectif né des émeutes ayant suivi la mort de Fredy Villanueva à Montréal-Nord en août 2008. C'est un jeune noyau qui grandit. Ce conseil d'arrondissement n'allait pas être banal. La salle était clairsemée de citoyens et citoyennes venus poser, religieusement, leurs questions à monsieur Gilles Deguire, ex-policier, maire de l'arrondissement de Montréal-Nord. Une dame âgée se plaignait une fois de plus, au maire, du fait que certains jeunes étudiants jouaient trop près de son terrain et qu'un d'entre eux avait lancé une boîte de jus sur sa porte. Elle a mentionné que la porte avait été salie et qu'il fallait la nettoyer... Ah, un détail: elle a précisé que le jus était à saveur de fraise...Le maire Deguire écoutait, paternellement, la suite de citoyens dont il connaissait les noms pour la plupart, en laissant son meilleur conseiller répondre aux questions les plus complexes, celles touchant notamment les demandes sur les contenants de recyclage et d'autres questions environnementales.

Trop de couleurs...
Inutile de dire que tous les yeux étaient constamment rivés sur l'attroupement de personnes que nous formions. Certains communiquaient frénétiquement sur leur BlackBerry. D'autres semblaient sur le point de faire une crise d'épilepsie. Trop de couleurs conflictuelles. Ce n'est pas à chaque conseil d'arrondissement de la ville de Montréal qu'on voit rentrer le Québec-de-demain!On ne va pas jouer avec les mots: tous étaient «beiges» dans la salle, sauf deux personnes. Claudel Toussaint et Monica Ricourt, conseillers du maire de l'arrondissement. Nous avions des caméras, car pour nous il s'agissait d'un autre pas dans l'histoire.En effet, voilà deux ans que je milite en tant que sympathisant de Montréal-Nord Républik et Hoodstock. Deux ans que je regarde, entend, observe le théâtre politique, communautaire, médiatique et paramilitaire lié aux causes et circonstances du décès de Fredy Villanueva. Deux ans que je vois des gens essayer de passer à autre chose. Mais comment fait-on pour passer à autre chose, quand on échoue au test à répétition?Ce test, je vois pourtant des citoyens et citoyennes le réussir à répétition. Des gens qui disent: «Voilà le problème et voilà comment on peut le corriger.» D'autres posent encore les mêmes gestes que dans le passé. On met plus de policiers dans le quartier, on laisse le communautaire calmer les petits feux en mettant la faute sur les enfants. On change tout, sauf le fonctionnement au sein du service de police.

Et les études?
La première fille de notre groupe s'est levée et a demandé au maire Deguire pourquoi il n'avait pas fait de sortie publique à la suite de la parution du contenu des deux rapports commandés et camouflés par le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM). Celui-ci a répondu qu'il n'avait rien dit parce que personne ne lui avait posé la question avant, qu'il avait une réponse de prête et il s'est alors mis à citer un article de Brunelda Reyes qui ne fait que remettre les études en doute avec une énumération de statistiques qui reste suspecte.La citoyenne a insisté sur le fait que ces études réalisées par des professionnels étaient accompagnées de recommandations qui tardent à être suivies. Le maire a renchéri en disant que le racisme existait partout dans la société civile, pas juste dans la police... Allo!?! On fait quoi avec des réponses comme ça?Inutile de donner dans le menu détail de cet échange, mais il reste que la fille, d'origine arabe, indignée, a dit qu'elle croyait qu'un policier qui lui disait qu'elle «devait aller se faire exploser» [il s'agit de propos relatés dans l'une des deux études] faisait preuve de racisme. La réponse du maire ressemblait à une feinte vers la droite, une feinte vers la gauche... Un genre de «laissez-moi en paix» poli. «Je crois que tous les citoyens méritent d'avoir de bons services.»

Insatisfaits
Une autre a pris le soin d'arriver avec des revendications proposant clairement ce que notre groupe avait élaboré comme pistes de solution. Là, l'équipe du maire s'est solidement attelée au crayon et a commencé à prendre des notes. Nous avons demandé à ce que nos revendications soient portées à l'Hôtel de Ville de Montréal et le maire Deguire a clairement mentionné qu'il le ferait.Nous sommes toutefois restés insatisfaits de son incapacité à vouloir prendre position sur le contenu des études. Celles-ci font référence à plusieurs séries d'interpellations injustifiées auprès de personnes noires de son arrondissement. Il s'est plutôt mis à défendre les policiers et à dire qu'il regardait vers l'avant. Ça veut dire quoi, ça? Même les chevaux dans le Vieux-Montréal, ça regarde vers l'avant. C'est normal, ils ont des oeillères.

Leadership et innovation
Pour nous, impossible de regarder vers l'avant si on ne peut même pas accepter l'endroit où on est. Deux ans après la mort de Fredy, on camoufle des pistes de solution qui nous renvoient vers le miroir. On tente d'éviter le débat. Tout va bien, Milady. «Calmez-vous, Madame J'ai-Oublié-Votre-Nom! On n'en tuera pas un autre de sitôt. Arrêtez de demander un buste de Fredy, un parc Fredy, une autoroute Fredy. Vous nous faites peur! Vous me donnez plus de job que d'habitude. Je veux parler d'autre chose avec Gérald Tremblay. J'aime juste parler avec les riches qui sont sur le boulevard Gouin ou les pauvres qui demandent que les jeunes qui vous ressemblent aillent jouer ailleurs, sinon ils vont appeler la police...»OK. J'exagère. Quand une citoyenne a dit au maire: «Il faudrait plus de surveillance quand les jeunes jouent près de nos terrains.» Le maire a dit: «Il va falloir s'y faire. Les jeunes sont là pour rester.» Nice! Pas pire, quand même!C'est juste que je suis indigné de son incapacité à faire preuve de leadership et d'innovation dans un dossier qui semble diviser la population de Montréal-Nord. Pourquoi ne cautionne-t-il pas la solution qui risque de vraiment sauver des vies humaines?

Incompréhension
Le coup de grâce de l'incompréhension est venu d'un de ses conseillers, Monica Ricourt, qui s'est mis à nous rappeler qu'elle était noire (on l'avait oublié), qu'on la traitait de «petite noire» quand elle était jeune et qu'elle croyait en l'égalité pour tous. On lui a dit qu'elle a beau avoir de belles valeurs et qu'elle a beau être noire, ça ne change rien au fait qu'aucun geste n'avait été fait par l'administration après la parution des rapports, qu'aucun plan n'était mis en place afin de mettre le citoyen au centre de leurs principes de gouvernance et qu'aucune sortie publique n'avait même été jugée pertinente. L'inaction, quoi!Qu'on arrête de nous mettre des leaders fantoches en pleine face qui agissent comme des coussins gonflables. C'est mauvais pour leur santé et la nôtre. Qu'ils ou elles soient noirs, caramels, miels ou roux, s'ils n'arrivent pas à actualiser leur discours et leurs gestes avec la réalité, nous n'en avons pas besoin. Ils ne sont, pour nous, que des personnes «gentilles» gravissant les échelons vers la montagne du statu quo. Des personnes au service d'un groupuscule hégémonique puissant, parano et peureux.Qui se bat pour les autochtones? Sûrement pas eux. Après, on capotera parce qu'on ne siège pas au Conseil de sécurité de l'ONU. Come on! C'est le Canada qu'on a toujours voulu, non? À force de laisser les fantoches gouverner au municipal, au provincial et au fédéral, on se ramasse avec un monde qui recule au lieu d'avancer, alors que nos enfants, eux, continuent de grandir pour ensuite nous ressembler. Un collègue me faisait remarquer qu'on était 50 000 à marcher pour ramener les Nordiques, mais que personne n'a levé le petit doigt pour le smog de corruption qui obstrue notre pare-brise.Bon, il est tard... Qu'on récapitule: une feinte vers la droite, une feinte vers la gauche; une odeur de jus de fraise...Le maire a clos la soirée en disant: «Nous, on n'a pas peur des défis, on est prêts à les surmonter.» Nous avons répondu: «Ce ne sont pas les défis qui nous font peur, mais bien le déni... la culture du déni.» À notre sortie, une voiture de police nous attendait...

Ricardo Lamour - Citoyen - Le Devoir, 14 octobre 2010

Aucun commentaire: